mardi 27 septembre 2011

Raymond Radiguet, «Le diable au corps», et moi…


Vous me connaissez… Je vais rarement vers les livres. C’est eux, plutôt, qui viennent à moi. Et par un effet presque miraculeux… Comme une opération du Saint-Esprit… Des anges infléchissant mon destin.

Cet ouvrage-ci, Le diable au corps, aura longtemps figuré dans ma bibliothèque familiale. Et en bonne place. Dixième volume d’une collection lancée par un grand journal… Souvent, je parcourais sa quatrième de couverture ; «Amour d’un adolescent pour une femme mûre, dont le mari se bat à la guerre de 14.» J’aimais aussi relire la notice biographique, tant elle ne laissait de m’intriguer : «Raymond Radiguet, né en 1903, mort à vingt ans.» Moi j’en avais alors dix-huit. Et déjà je m’étais engagé pour le front des mots…

Par un beau jour d’été, cependant, ce petit livre disparut… C’était ma sœur, m’apprit-on, qui l’avait emprunté ; l’ayant soi-disant pris en voyage, sans doute attirée par son thème sulfureux… «Amour d’un adolescent pour une femme mûre…» Dire que je ne l’avais pas lu au-delà. «Raymond Radiguet, mort à vingt ans.» Je devais me rappeler cette phrase, de longues années durant ; mais sans plus en revoir la couleur. Car le roman ne revint pas. Nous crûmes même, un moment, qu’il était perdu… Cet auteur éphémère – au visage mystérieuxà la destinée tragique – me filait entre les doigts.

Mais peut-être était-ce écrit… Il n’avait été l’heure – à ce stade, et pour moi – de découvrir cette histoire. Pas encore… Puis mon existence s’est poursuivie. Je tentais toujours de rallier quelque cercle littéraire. Cela, ô paradoxe, en restant loin de tout. Et même des livres. Écrivain qui composait mais ne lisait point. Moquez-vous ! Humain qui existait mais ne vivait point. Pleurez, pleurez surtout !… C’est alors que ces fameux anges zélés reprirent leur bâton de pèlerin. Répandant soudain leurs livres, tout juste sur mon passage. Comme pour m’appeler, par le pouvoir de la lecture, à vivre davantage… Ce fut d’abord «Le joueur», de Dostoïevski. Intrigue qui m’a donné goût au jeu. Et ainsi j’ai joué. Misant jusqu’à un tiers de mes deniers, en bourse ; tel notre ami Fedor au casino de Roulettenbourg… Puis ce fut au tour de «Bel-Ami». Où Maupassant me fit naître le désir fou de séduire. Je voulus être, en effet, Georges Duroy. Homme intéressé. Homme à femmes… Je décidai donc, dans cette audacieuse entreprise, de promener mes mots hors de moi. Souhaitant éprouver mon art et ma séduction en chair et en lettres, pour une fois. Me destiner à d’autres qu’à l’Absolu ou au Néant… Je jetai donc mon dévolu sur celle qui avait été ma professeure d’anglais…

Nous nous étions déjà retrouvés sur la Toile. Et je me mis à la courtiser par courriels interposés. Échangeant avec elle maints et maints messages… Les femmes aiment le langage, c’est un fait, je n’ai rien inventé… Nous pratiquâmes même divers jeux de plume ; écrivant l’un à l’autre – par exemple – comme au siècle des Lumières. «Madame, ma douce amie… De quelle agréable façon la bienséance m’oblige à vous nommer ?» «…C’est qu’il se trouve certains usages, voyez-vous, qui ne doivent souffrir la moindre exception…» «Vos mots et votre esprit ne trompe guère quant à la noblesse de votre rang.» «Monsieur, je vais devoir, une fois encore, éprouver votre patience.» «…Serait bien insolent de ma part le dessein d’accaparer votre temps…» «Vous ne sauriez imaginer le vertige qui s’empare de moi à la lecture de chacune de vos missives.» «Votre éternel obligé.» «Recevez mes plus tendre pensées.»… Ma correspondante fut la première femme que je connus. Elle était de quinze ans mon aînée. Et je me suis lancé dans cette liaison par pur esprit romanesque.

Notre aventure, toutefois, ne dura pas plus de quelques mois… Au cours de cette curieuse parenthèse, j’eus encore l’occasion de parfaire ma culture. Littéraire ou autre. Découvrant mieux le monde. Lisant toujours, cette fois dans la bibliothèque même de ma dulcinée, et sous ses conseils insistants… Ainsi je découvris «Le petit prince», livre plein de charmes purs. Qui m’apprit combien les femmes étaient semblables aux fleurs… Aussi fragiles. Aussi capricieuses. Aussi sournoises…

Plusieurs semaines après notre rupture, enfin, «Le diable au corps» me retomba entre les mains. Et tout à fait par hasard. C’était ce même exemplaire, prétendument perdu. «Amour d’un adolescent pour une femme mûre»… «Raymond Radiguet, mort à vingt ans.» J’en avais alors vingt-cinq, et n’étais encore parvenu à rien. «Vingt ans.» Je n’aurais pas souhaité, moi-même, vivre davantage. Oh non… Il n’y a que vieillesse, passé cet âge. Que redites.

Et ce livre, précisément, est tout pétri de jeunesse. Tant par le style que le propos. Il sent bon la fierté et l’élan. S’y discerne un curieux mélange, entre touches naïves et étonnante précocité. Approximations et franc génie… La maturité même du narrateur, voire la finesse d’analyse de l’écrivain, ne semblent être que cette lucidité vive – quasi exacerbée – de l’adolescence en son crépuscule.

Nous sommes donc à la fin de la première guerre. Le héros est un jeune adolescent, doté d’un esprit fort précoce… Par l’entremise involontaire d’amis plus ou moins proche de sa famille, il fait la connaissance de Marthe, leur fille. Femme encore dans la fleur de l’âge, mais déjà fiancée. Son «heureux élu» se trouve précisément au front…

Notre audacieux narrateur, par une espèce d’effronterie ou d’inconscience, se livrera dès lors à un étrange jeu de séduction. Allant jusqu’à faire l’école buissonnière, pour passer ses journées avec la jolie demoiselle… Et une passion des plus folles – toute brûlante même – réunira bientôt ces deux êtres… Les pages du premier baiser échangé, faisant basculer leur relation dans le rapport de chair, ne sont rien moins qu’un pur chef-d’œuvre…

Ce qui frappe d’entré, c’est l’incroyable modernité du livre. Ou devrais-je dire, plutôt, son caractère tout intemporel. Tant le personnage central est étonnant d’actualité. Tel un ado rebelle avant la lettre… Car Radiguet nous montre – dès 1923, année de parution – un jeune en «révolte» contre l’autorité parentale ou scolaire. Qui dénigre la société bien-pensante, affiche des mœurs fort libres, faisant presque fi de tout préjugé moral. Et s’il s’est du reste écrit – depuis lors – ouvrages plus provocateurs ou hardis, ce roman garde néanmoins intact toute son audace… Nous voyons donc, mais serait-ce encore nécessaire de le prouver, à quel point la littérature est en avance sur son temps. Voire hors du temps… Elle montrera toujours – à nous tous, les prétendus modernes – combien nous n’avons rien inventé.

Ainsi, récapitulons… Une femme. Un amant. Un mari… Le drame se devine. Il se sent, de page en page. On le voit venir, on l’attend ; comme une cruelle épée de Damoclès, qui plane par-dessus cet amour interdit. Prête à s’abattre au moindre instant… Sans compter le conflit de l’âge, ou de situation sociale ; lesquels séparent diamétralement nos deux personnages. Potentielles frictions dont on distingue maintes fois les signes, notamment dans l’épisode de la chambre d’hôtel à Paris… La tempête annoncée, pourtant, ne sera pas celle qu’on croit. Et j’avoue avoir été déçu par le dénouement du récit. Tant il m’a semblé une fin trop abrupte, et presque trop facile. Le roman n’allant ainsi pas au bout de lui-même. Court-circuitant sa propre logique et ses vrais enjeux… La femme adultère. Le fossé générationnel. La déraison de l’amour…

«Mort à vingt ans». Désormais j’en ai vingt-six, je suis vieux. «Vingt ans» ! Je n’ai plus l’âge d’être ni Radiguet ni Rimbaud. Je suis vieux ! Et riez… On parle de l’âge comme d’un cruel naufrage, n’est-ce pas ; celui-ci est tant moral que physique. Ainsi, moralement, je suis vieux. Il ne m’est plus permis, contrairement au personnage de Radiguet, d’encore foncièrement croire en moi. De prendre quoi que ce soit vraiment à cœur… Je ne pourrais me voir avec sérieux. Quel malheur ! Je suis vieux.

Peut-être aurais-je dû lire ce «Diable au corps» bien plus tôt. Mais quelle aurait été ma vie, alors ? A dix-huit, à vingt-et-un, à vingt-quatre ans. Aurais-je été mieux éclairé ? Plus averti des dangers de cette vie ? Des femmes ? De l’amour ? De la séduction ?… Il n’y a pas si longtemps, par ailleurs, j’ai partiellement lu «Le rouge et le noir» ; découvrant que j’étais un Julien Sorel sans le savoir. Chose qui n’est pas pour me déplaire. Car à défaut d’être un auteur authentique, je me rêve en personnage de fiction. En héros purement de mots… Et pour ce qui concerne mon existence véritable, je l’abandonne gracieusement aux Moires. Qu’elles en tirent les fils comme bon leur semble… Et je ne me prétendrai plus écrivain.

Raymond Radiguet fut emporté, à l’âge de vingt ans, par une fièvre typhoïde… Il avait eu le temps d’écrire deux romans.

mardi 9 août 2011

Connaissez-vous ce rêve d'une chute sans fin ?

Le monde s'ombre
Les formes sombrent
Ô mes idées sombres

Vous me voyez en phase descendante, comme le soleil...

Je décline
Je défaille
Je décroche

A moi la chute et l'abîme... Du ciel azur aux tréfonds obscurs.

Néant tétanisant
Vie de vides
Vide de vies

Connaissez-vous ce rêve d'une chute sans fin ? Là me mène mon destin.

Je coule et tourbillonne
Ainsi l'eau dans l'évier
Aux égouts !

Je siphonne
Tournant et tournant, jusqu'à la nausée
Quel dégoût !

Et nul me rattrapera d'où je tombe. Mon sépulcre est tracé, je le creuse.

R.I.P.

dimanche 15 mai 2011

Rien que pour vous. (Dans la paix du vide)

Rien n’est grave. Cessons de penser, cessons. Arrêtons même de parler, il n’y a plus à discuter. Rien n’est grave. Et puis il n’y a rien, et ce n’est rien. Vivons sans autre ambition. Vivons de vides. Vidons. Et je ne veux rien, je ne vaux rien. C’est ainsi, laissons. Laissons le vide. Nous ne sommes rien.

St-Paul l’a dit : «Je n’ai rien apporté, je n’ai rien emporté». Et nous, de même, nous n’avons rien apporté. Ô rien. Mais nous aurons tout emporté… On ne nous a rien donné que de vivre. Et encore cela, rien que ça, nous nous garderons de le rendre. Alors accaparons tout ! Jusqu’au trépas. Passons. Tirons un trait, et trépassons. Nous n’en sommes qu’à deux pas. Allons. Vous ne sentirez rien. Et puis de nous, nihiliste absolution, il ne restera rien.

Récitez donc ! Voici notre crédo : Je ne suis rien ! «Je» n’est rien ! Je n’ai rien ! Ainsi soit-il, ce n’est rien... Et néant, néant, néant... Ite missa est.



lundi 28 février 2011

Pour vous servir, moi, auteur et humble lecteur.

Je vais vous la jouer franc jeu, je nétais pas un dévoreur de livres. Quoiqu’on en pense. Et ça étonne beaucoup, généralement, lorsque je fais cet aveu. Moi qui voudrais pouvoir me dire écrivain Certes, lire, écrire, tous deux sont liés. Mais lun nentraîne forcément lautre. Le lecteur, aussi boulimique soit-il, ne se transforme toujours en auteur. La lecture napprend point lécriture. Ainsi ma plume nest pas née dans les livres. Ce sont au contraire mes propres mots qui mont conduit vers le monde des lettres.

Et si longtemps jai lu bien trop peu, cest que je craignais grandement les livres. Car je métais fait, à propos deux, la plus haute idée. Sans pour autant les déifier, mais tout comme. Tellement je voyais autour de moi des personnes pour les porter aux nues. En conséquence : ces beaux ouvrages – quels qu’ils soient – m’intimidaient. J’en regardais le dos, avec titre et nom d’auteur, enchâssé sur les rayons des bibliothèques. Mes mains caressaient parfois certaines couvertures, s’aventurant aussi à en feuilleter quelques-uns. Puis j’humais au plus près leurs étonnantes senteurs. Toujours avec respect. N’osant presque jamais les lire.

Leur simple lecture, d’ailleurs, me faisait fort peur. Je me défiais d’une telle activité. Parce que si les livres donnent à vivre en plus fort, lire équivaut aussi quelque part à mourir. Ou – tout au moins – vieillir, davantage. En esprit. Tant les mots nous sortent de l’insouciance. Mitraillent nos petites certitudes. Tout redoutables qu’ils sont… Quantités de bouleversements que je ne souhaitais connaître, à l’heure où ma vie s’en chargeait bien assez. Et c’est pour cela que vous me voyez encore jeune. N’étant vieux que d’une poignée de livres.

Vous allez me dire, alors : d’où j’ai pu apprendre les mots, moi qui aurais apparemment lu si peu… L’école ? Oh non ! Du tout ! La vie, plutôt ! L’existence. Car les mots sont partout. Dans les bouches de tout un chacun. Sur les murs des villes. Au revers d’un objet quelconque… Ainsi j’ai lu sur les affiches de cinéma. J’ai lu sur le fronton des grands monuments. J’ai lu sur les panneaux publicitaires. J’ai lu sur les lèvres des jolies femmes… Les mots ne tombent pas des livres. Ceux-ci n’en sont même pas l’écrin, tout au plus se trouvent-ils leur réceptacle. Et le moindre verbe exprimé, pour moi, n’est autre que de la littérature.

Durant de nombreuses années – dès lors – je me vantais de ne lire aucun livre ; y voyant un motif de fierté, au regard de ce que valaient mes écrits. C’était assez stupide, j’en conviens. Et je m’en repens. Car malgré tout j’ai lu. M’immergeant dans les quelques pages que la providence posait sur mon chemin. Et lorsque je lisais, ce n’était pas à moitié. Chaque lecture fut un plongeon. Presque une noyade. Dans les abysses d’un auteur. Son intime. Puisque c’est cela – non ? – lire ou écrire, c’est partager son esprit. L’ouvrir à une grande copulation d’idées. L’art est un viol moral et consenti. Où deux êtres, l’émetteur et le récepteur, s’interpénètrent.

Mais je n’étais pas un bibliophage, comme je ne suis point davantage un graphomane. N’ayant jamais apprécié ce jeu, où c’est à qui aurait lu le plus et les meilleurs. Non. Il faut rejeter ces dictatures actuelles, diktat de la quantité et du mouvement perpétuel. Moi je lis comme j’écris ; lentement, calmement. J’agis en tout comme je vis, le plus humblement. C’est ainsi qu’on profite au mieux des choses.

Je me suis mis à beaucoup lire, Néanmoins. Je lis résolument. C’est tel un besoin, désormais. Ayant compris ce que cet acte avait d’essentiel, combien il incarne le plus brillant exercice pour l’intellect. A croire même que mon esprit aurait déjà vieilli, tant désormais il réclame des livres – en permanence – pour pouvoir se maintenir. Alors je mets souvent mes mots en jachère, afin de parcourir les sillons déjà tracés. Champs d’autrui. Chants étrangers. Dont je m’abreuve… Transvasant ensuite l’engrais récolté, des pages lues vers celles que je produis.

Et je vais vous faire une confidence ultime : je suis homme de foi, je crois en les livres. Je me prends pour tous les héros de roman. La moindre lecture me transforme. Ainsi j’ai déjà vécu mille fois. Et je mourrai encore de même. Mille fois. Et j’aime les titres de livres. Comme j’aime le nom des auteurs… Oui, j’aime la littérature.

[ Et vous pourrez désormais suivre mes critiques littéraires sur ce nouveau blogue : http://hommeslitteraires.wordpress.com/ ]

lundi 7 février 2011

Essai sur les nus du cinéma français.

Ce qui pourrait caractériser le film européen, c’est un certain attrait du réel. Ce goût de rendre crûment les choses. D’aller au plus près du vécu… Non pas l’évasion par une réalité fantasmée, comme dans moult machines américaines, mais plutôt l’examen introspectif de nos sociétés. Grâce à ce miroir, tout de toile blanche. Illuminé à raison de vingt-quatre images secondes...

Citons le néoréalisme italien. Citons la veine sociale anglaise. Puis citons bien sûr la Nouvelle Vague. Car comme de coutume, le cinéma ne faisant exception, l’Europe et la France se confondent pour beaucoup. D’ailleurs les créations hexagonales n’occupent-elles pas la tête du Vieux Continent ? Au moins par leur quantité. Et c’est sans doute ces dernières qui expriment le mieux cet exigeant idéal de réalisme.

Quoique les films français ont encore une autre dimension fort particulière. Quelque chose proche de l’obsession… Je vous la donne en mille : le désir lubrique. La concupiscence. Ou en termes différents, peut-être plus triviaux : l’irrépressible passion du sexe… Angle sous lequel je propose une analyse sans pudeur. Non seulement comme spectateur et cinéphile, mais aussi – de manière tout à fait assumée – en voyeur…

Le cinéma, par sa nature même, est éminemment sensuel. Et il aura longtemps louvoyé autour de la sexualité, sans franchir le pas de sa représentation frontale. Hormis à travers quelques courts-métrages marginaux, destinés à un public aussi restreint qu’averti, circulant plus ou moins sous le manteau. Telles par exemple les collections du Roi d’Espagne, au tout début du siècle dernier.

La nudité sur grand écran fait sa réelle irruption dans les années 1960. D’une façon timide mais néanmoins exponentielle. Ce qui constitue, n’ayons peur des mots, un authentique basculement. Car jamais le commun n’avait eu cet accès au nu. Sous une forme elle-même sans précédent. Puisque vive et crue. A deux doigts d’être vraie… Ainsi la poussée libertaire des sixties n’est peut-être pas due à l’avènement du rock. Mais bien plutôt à l’érotisme, latent puis exacerbé, contenu dans nombre de films.

Parce qu’en effet le 7ème art, d’entre tous les médias, est celui qui offre la plus grande proximité avec le réel. Accaparant mieux qu’un autre les sens humains. Et, par là même, l’esprit. Sa puissance étant un peu au domaine artistique ce que la bombe atomique est à l’armement. Le paroxysme en son genre… C’est une discipline qu’on pourrait dire volontiers totalitaire. Qui aura d’ailleurs compté comme principale force, par son influence exceptionnelle sur les masses, des régimes soviétiques et fascistes. Avant de jouer un rôle majeur dans un énième séisme du vingtième siècle, à savoir la révolution sexuelle. Dont les premières piques furent lancées depuis les salles obscures.

Le cinéma français, lui, se dévergondera plus tardivement que ses homologues anglo-saxons. Qui furent eux les précurseurs véritables de notre évolution des mœurs. Pensons aux films de Russ Meyer. Voyons aussi Le prêteur sur gage de Lumet, en ce qu’il est la première œuvre de studio à montrer une poitrine dénudée. Ou surtout Blow up, dès 1966, premier vrai film à nous dévoiler le pubis féminin.

Tout ceci à une époque où la France étouffait encore sous le conservatisme gaullien. Pudibonderie toujours de mise à l’heure de Pompidou, avant d’être balayée – d’une vague irréversible – pendant l’ère Giscard. Laquelle fut précisément inaugurée par le niais mais non moins émoustillant Emmanuelle… Car si l’Hexagone a pu paraître en retard, elle finira par rejoindre et même surpasser tous ses pairs…

Le milieu des années 1970 marque ni plus ni moins qu’une explosion érotique… La sexualité, la nudité, la crudité en tout, font souche à l’intérieur de chaque discipline culturelle. Et singulièrement au travers des écrans… Exhiber le corps devient une innovation en soi. Presque un genre à part entière. Digne étendard d’une génération… En cette époque unique, tout est concupiscence.

Je ne souhaite pas ici traiter de l’industrie du charme, spécifiquement, certes bien florissante depuis lors. Mais au contraire examiner le cinéma plus traditionnel, lui-même en proie à cette fringale sexuelle. Car le fait marquant, à partir de cette décennie, c’est justement l’extrême généralisation du sexe. Cela dans tous les types de film.

Aussi, le format qui se veut érotique – a fortiori – est généralement des plus plats. Accumulant trop volontiers les poncifs. Soit versant dans la grotesquerie du clip. Le plaisir se voyant alors désamorcé par l’outrance… Ainsi les séries B ou Z des seventies. Ainsi même l'Empire des sens, assez mièvre érotiquement.

Les films à très haute charge sensuelle sont plutôt ceux où l’érotisme ne dit pas son nom. Qui parlent d’une chose, conduisent une intrigue, pour en fait ne se vouer qu’au désir. A la chair. Incarnée par des corps radieux, non-innocemment lascifs. Domaine dans lequel les productions françaises excellent…

Le summum en la matière pourrait se trouver dans ces œuvres sur l’adolescence. Abordant fantasmes et premiers émois. Tout emplis d’une tension voluptueuse… Tel Le souffle au cœur. Telle La dentellière. Telle Une vraie jeune fille… Ou tant d’autres.

Et le cinéma d’Hexagone va exposer le nu jusqu’au sacrilège. C’est-à-dire qu’il ne recule devant rien ni personne. Pas une situation n'est trop hardie, pas une actrice n’est trop charmante pour lui. Il les dévêt jusqu’à la perversité. Nu gratuit, hors sujet. Comme pour conjointement rincer l’œil du réalisateur et du spectateur. Jusqu’au vulgaire. Laidement libidineux. Parce qu’un chef-d’œuvre d’érotisme, souvent, est une réalisation sans qualité particulière. Le nu est l’apanage des films médiocres… Et c’est ici ceux qui m’intéressent.

Un personnage des plus caractéristiques – à cet égard – dans le répertoire cinématographique français, sera celui de la jeune ingénue. Protagoniste sans histoire, sans consistance, et même sans rôle narratif ; uniquement présente pour sa valeur sensuelle, n’ayant d’autres vocations que celle d’être dénudée... Automate toujours souriante, aux mains de ses partenaires. Son importance culmine lorsque la narration se suspend. Pour laisser place à une scène de pure contemplation ; tout anatomique, extatique, érotique…

C’est le moment-clef où la divine créature déboutonne son chemisier, et il y a très peu de sous-vêtements dans le cinéma français… C’est la séquence enchantée nous montrant celle-ci au sortir du lit. Courant aux rideaux, pour s’offrir au jour. Dans son plus parfait état de nature… C’est l’instant béni passé sous la douche. Le cheveu dégoulinant. La peau luisante et légèrement perlée…

On pourrait croire qu’il s’agit-là de visions proprement masculines, or ces scènes-types reviennent autant dans les œuvres au féminin. Filmées à peine différemment. Parfois même en plus crues… Les femmes abordent plus ouvertement encore la question sexuelle. Elles parlent du corps davantage que les hommes. Et ne joue pas moins sur cette ambivalence de leur anatomie : simple enveloppe charnelle, puis tout à la fois objet de désir… Voyez le cinéma de Catherine Breillat. Tonie Marshall. Diane Kurys. Jeanne Labrune. Claire Denis. Et consort.

Les qualités féminines, du reste, semblent offrir un meilleur matériau de création. Ceci à l'usage des deux sexes. Car les formes d'une femme sont riches et signifiantes, là où l'extérieur masculin est plus lisse et quelconque... Par voie de conséquence, à l'heure des particularismes renaissants, dans l'époque du désir fait Dieu, en cette société marchande : la femme est triomphante. Elle triomphe par son caractère protéiforme, et se vend mieux qu'un homme. Ainsi son image est déclinée sur tous les supports et dans toutes ses gammes. Monde gynécentré. La Vénus a supplanté l'Éphèbe dans l'Universel…

Parvenue aux années 1980, la nudité devient système. Assez cynique. Une exploitation de masse. Débordant du cinéma à la télévision. Des fictions jusqu'aux plateaux télévisés... Tandis que la décennie 90, elle, renouera avec une certaine mesure. Dans un politiquement correct hypocrite, bientôt dynamité par le vingt-et-unième siècle naissant. Heure plus perverse et trash. Loin de l'antique innocence woodstockienne ou soixante-huitarde. De ces nus presque encore naïfs, sur grand écran, desquels naquit un âge nouveau. Adolescent... Amours libérés dont nous descendons.

Je veux enfin vous avouer, sans grivoiserie aucune, ma fascination pour les actrices déshabillées. Art dans lequel la cinématographie française est donc passée maître... Je vois en effet du sublime à offrir son corps et sa jeunesse au plus grand nombre. A le fixer dans l'éternité, fort de tous ces charmes... D'ailleurs jouer nu, par surcroît, représente la quintessence du don de soi. Proche même d'un abandon. Tout au moins dans le travail du comédien. Car pour lui, le corps est un instrument. Le sien. Unique mode d'expression qu'il possède. Et créer revient – d'une manière ou l'autre, de près ou de loin – à se dévoiler...

Je dédierai spécialement ce texte à la mémoire de Maria Schneider, qui a offert son corps et sa jeunesse au cinéma français... Et je dis également ma profonde reconnaissance aux actrices françaises, dans leur ensemble... Toutes femmes dont je suis secrètement amoureux.
 

lundi 17 janvier 2011

La Pensée pour les Geeks.

Assis sur les bancs d’école, alors que je suivais des cours de photographie, nos profs expliquaient en quoi un appareil photo imite l’œil humain… Ne pourrait-on le dire autant des ordinateurs ? Qui se trouveraient être, eux, des copies conformes de nos brillants esprits. Notre cerveau fait machine. Et la Pensée serait un peu l’équivalent du système d’exploitation…

Admettons ainsi que notre cervelle ressemble à une configuration matérielle… D’emblée j’en vois – d’ici – venir pérorer, d’aucuns vont me soulever des questions de Q.I. Comme quoi untel serait supérieur à l’autre. Cet esprit-ci vaudrait mieux que ce cerveau-là. A l’image d’un PC avec telle puissance de processeur ou un Mac doté de telle carte graphique. Pourtant, il n’en est rien…

L’idée même de quotient intellectuel est contraire à l’intelligence. Et je l'affirme avec force, nos machines sont semblables. A part vice de fabrication, nous partons égaux ; au moins en architecture… Carte mère. Processeur. Mémoire. Disque dur… L’enjeu, après quoi, ne consiste en rien dans le calcul d’éventuelles capacités ; mais résiderait plutôt dans la pleine utilisation de ses moyens. Et ceux-ci quels qu’ils soient. Lesquels ne peuvent être exploités – d'ailleurs que par une seule instance : la Pensée. C’est-à-dire votre O.S. mental. Que je vous propose ici de bien configurer…

Nous possédons chacun, c’est un fait, l’aptitude à être penseur. Néanmoins tous ne le deviennent pas pour autant. Car je désigne par l'action de penser bien davantage qu’une commune activité cérébrale. Plus aussi qu’une ou deux réflexions, émises ça et là… Parce que penser, disons-le, c’est prendre les manettes à pleines mains. Vouloir réfléchir sans relâche. Et contrôler – en conscience – son esprit.

Beaucoup n'emploient leurs neurones qu’en ayant un statut d’utilisateur basique. Tandis qu’être penseur revient à passer au compte root. C’est devenir son Super-Administrateur… Et pour concrètement démarrer sa Pensée, il incombe de dépasser la réflexion. Celle-ci équivalant tout juste à savoir que l’on sait, tel un reflet fugace au cœur de son esprit ; alors que la Suprême Pensée, bien plus encore, c’est saisir sciemment cet outil intérieur. Comme un miroir immanent, orienté vers son infinie connaissance. Qu’on pourrait appeler l’hyper-réflexion…
 
Une fois accomplie l'installation du Système, procédez donc au premier nettoyage. Traquez toute chose qui aurait pu – en vos neurones – s’être implantée à votre insu. Car le cerveau, quand vous n'êtes point penseur, ressemble à un système Windows ; tout y entre et sort comme dans un moulin, tout aura tendance à s'y faire sans que vous n'ayez le choix de rien. Tandis qu'à présent, pour ceux qui ont bien franchi le pas de la Pensée, votre esprit tourne sous Linux... Vous êtes le seul maître à bord après Dieu.
 
Expulsez ainsi toute idée reçue. Tout le faux savoir. Toutes les pseudo-certitudes... Puis reformatez. Ou plutôt, en l'occurrence, déformatez. Brisez ces carcans artificiels. Remettez vos cellules grises comme au sortir de l'usine, ce qui signifie – en l'espèce – du ventre maternel... Dites-vous que votre seule Pensée est capable de décrypter toute Vérité. Quelle qu'en soit le système de fichier. Car il n'existe aucune raison – a priori – de se fixer la moindre limite.
 
Puis tout en élargissant à l'infini son champ de réflexion, il faut entourer sa mécanique intellectuelle d'un véritable château fort. En faire une citadelle imprenable. Comme un pare-feu. A travers quoi rien ne saurait pénétrer, sinon ce qui s'y voit dûment autorisé... Et tout élément qui reçoit – le cas échéant – cette permission d'accès, devra encore être passé au crible d'une analyse minutieuse.
 
Sur ce point précis, à bien y regarder : votre Jugement fonctionnera – sous certains aspects – tel un véritable antivirus... Pour confirmer ou non l'exactitude d'une proposition tierce, voire plutôt sa validité, il convient de comparer celle-ci à ses propres modèles. Le plus fiable secteur en vous, j'entends la connaissance. A ne pas confondre avec votre savoir. Ce dernier étant purement théorique, et dés lors souvent superficiel... La connaissance englobe en revanche toute notion qui, de près ou de loin, émane de votre expérience fondamentale.
 
Je compte ni plus ni moins que cinq ports d'entrée vers notre esprit. A savoir les cinq sens... Tout ce qui est ressenti par ceux-ci – cela dans un rapport direct et pur – peut être raisonnablement appelé réalité. Laquelle ne doit jamais être crainte. Il faut au contraire la vivre absolument. Lui ouvrir pleinement ses sens... Ce dont il est impératif – toutefois – de se distancer, c'est tout ce qui parvient à soi par l'intermédiaire d'un média. Ne représentant – lui – qu'un réel tronqué, travesti, falsifié.
 
Les sens et leurs canaux – à vrai dire – forment une prise d'alimentation, menant droit au cerveau. Attention donc à bien en régler le débit. Un manque d'apport sensoriel assèche littéralement votre cervelle. Une trop grande abondance, à l'inverse, l'inonde et la paralyse... L'idéal est dans le juste milieu.
 
Surveillez ainsi ces câbles essentiels, reliant le monde sensible à votre Savante Pensée. Gardez-les toujours connectés l'un à l'autre. Ceux-ci s'échelonnant en trois parties, dont le bon ordre est primordial. Sensation => Émotion => Réflexion... Les deux premiers sont à branchés en esclave sur le dernier. Nécessairement. Ce processus ne valant que dans sa pleine intégrité, de la chose éprouvée jusqu'à l'expérience raisonnée. Car il importe, au final, que votre esprit l'emporte.
 
La Pensée a pour science le fond des choses. C'est d'ailleurs l'objectif ultime ; le Fond, l'Essence, l'Immuable. Car sachez bien que tout le domaine du sensible ne correspond jamais qu'à une interface sensorielle. Un genre de paravent, quelque fois trompeur, qu'il incombe de renverser. Tant le véritable intérêt réside à l’arrière. Dans les fichiers qui sous-tendent l'ensemble... La Vérité n'est pas loin d'être un logiciel propriétaire. Qui nous cache jalousement son code. A vous d'en être les hackers. Lancez vos scripts à l'assaut de son vernis graphique. Crackez-lui ses faux-semblants. Puis rapatriez vers vous toute donnée qui en échappe.

Il faudra cependant que vous preniez garde. Votre esprit n'est pas sans faiblesse. J'y discerne quelques failles de sécurité... Vous serez parfois sujet au découragement destructeur, ou bien aveuglé par une immonde vanité. L'abjecte insouciance – elle aussi, par moment – pourra en gagner certains. Tant d'états qui vous feront baisser votre attention... Il sera plus que nécessaire, alors, de faire une restauration d'ensemble. En ayant d'abord rescanné tous vos neurones, pour mieux y séparer le grain de l'ivraie. Puis reparcouru les journaux système, où vous aurez soupesé – avec clairvoyance – vos divers acquis et échecs... Ensuite rebootez la Pensée.
 
Mais une énième menace – autrement grave – guette toujours votre esprit, elle en incarne même le virus suprême… j'ai nommé l'idéologie... Laquelle consiste à ne plus penser que suivant une seule et même idée. Pire encore, c'est mettre cette Haute Idée – soudain devenue comme intouchable – jusqu'au dessus de sa propre Pensée. Dérive qui conduit à l'aliénation de toute réflexion...
 
Pour se prémunir du poison idéologique, la Pensée doit être régulièrement mise à jour. Ou plutôt, dans son cas précis, remise en question. J'y vois une impérieuse nécessité. Tout sera continuellement soumis à examen. Tout. Même la plus sûre évidence. Aucune réflexion ne pouvant devenir Vérité absolue et définitive... Protégez-vous en cela de tout fichier terminant par un .isme. Autant que fuyez doctrines et écoles, grandes pourvoyeuses d'idéologies.
 
Si votre Esprit – en principe – est sans fin, le cerveau se trouve – malgré tout – mécaniquement limité. En y stockant un trop grand nombre de notions, vous risquez ainsi grandement la saturation. Qui se traduit par une fatigue psychique. Et celle-ci entraîne généralement l'éprouvante crise morale... C'est pourquoi il est indispensable de fréquemment décharger sa cervelle. Par le biais surtout de l'Action. Concrète. Physique... L'une des meilleures issues matérielles – à votre magma d'idées – réside pour moi dans la création. Sachez donc convertir – dans la mesure du possible – tous vos fichiers mentaux, en autant d'applications .art. Qu'il vous sera loisible d'offrir à la Communauté.
 
Avec une telle administration de votre Système, vous éviterez probablement tout plantage. Sachez cependant que la Pensée procède par cycle de trois ans. Ou à peu près. Passé quoi, sans doute, un renouvellement se fera sentir... Il faudra donc remettre ses idées à plat. Optimiser son Intellect. Puis réamorcer...
 
Je ne pourrais terminer sans vous dire l'importance de rester libre. De ne placer son Esprit sous aucun ascendant, hormis peut-être ses propres idéaux. D'œuvrer au bien commun, avec probité, mais tout en conservant sa pleine indépendance... Il en va ici du bon fonctionnement de votre Pensée.
 
Sur base de quoi, selon les principes de la Pensée libre, ce texte est lisible par tous. Il reste ouvert à l’étude, à la reproduction, au partage, et même à l’amélioration. Cela par tout un chacun… Faisons donc progresser nos systèmes d’exploitation, notre O.S. commun, la Pensée.