lundi 17 janvier 2011

La Pensée pour les Geeks.

Assis sur les bancs d’école, alors que je suivais des cours de photographie, nos profs expliquaient en quoi un appareil photo imite l’œil humain… Ne pourrait-on le dire autant des ordinateurs ? Qui se trouveraient être, eux, des copies conformes de nos brillants esprits. Notre cerveau fait machine. Et la Pensée serait un peu l’équivalent du système d’exploitation…

Admettons ainsi que notre cervelle ressemble à une configuration matérielle… D’emblée j’en vois – d’ici – venir pérorer, d’aucuns vont me soulever des questions de Q.I. Comme quoi untel serait supérieur à l’autre. Cet esprit-ci vaudrait mieux que ce cerveau-là. A l’image d’un PC avec telle puissance de processeur ou un Mac doté de telle carte graphique. Pourtant, il n’en est rien…

L’idée même de quotient intellectuel est contraire à l’intelligence. Et je l'affirme avec force, nos machines sont semblables. A part vice de fabrication, nous partons égaux ; au moins en architecture… Carte mère. Processeur. Mémoire. Disque dur… L’enjeu, après quoi, ne consiste en rien dans le calcul d’éventuelles capacités ; mais résiderait plutôt dans la pleine utilisation de ses moyens. Et ceux-ci quels qu’ils soient. Lesquels ne peuvent être exploités – d'ailleurs que par une seule instance : la Pensée. C’est-à-dire votre O.S. mental. Que je vous propose ici de bien configurer…

Nous possédons chacun, c’est un fait, l’aptitude à être penseur. Néanmoins tous ne le deviennent pas pour autant. Car je désigne par l'action de penser bien davantage qu’une commune activité cérébrale. Plus aussi qu’une ou deux réflexions, émises ça et là… Parce que penser, disons-le, c’est prendre les manettes à pleines mains. Vouloir réfléchir sans relâche. Et contrôler – en conscience – son esprit.

Beaucoup n'emploient leurs neurones qu’en ayant un statut d’utilisateur basique. Tandis qu’être penseur revient à passer au compte root. C’est devenir son Super-Administrateur… Et pour concrètement démarrer sa Pensée, il incombe de dépasser la réflexion. Celle-ci équivalant tout juste à savoir que l’on sait, tel un reflet fugace au cœur de son esprit ; alors que la Suprême Pensée, bien plus encore, c’est saisir sciemment cet outil intérieur. Comme un miroir immanent, orienté vers son infinie connaissance. Qu’on pourrait appeler l’hyper-réflexion…
 
Une fois accomplie l'installation du Système, procédez donc au premier nettoyage. Traquez toute chose qui aurait pu – en vos neurones – s’être implantée à votre insu. Car le cerveau, quand vous n'êtes point penseur, ressemble à un système Windows ; tout y entre et sort comme dans un moulin, tout aura tendance à s'y faire sans que vous n'ayez le choix de rien. Tandis qu'à présent, pour ceux qui ont bien franchi le pas de la Pensée, votre esprit tourne sous Linux... Vous êtes le seul maître à bord après Dieu.
 
Expulsez ainsi toute idée reçue. Tout le faux savoir. Toutes les pseudo-certitudes... Puis reformatez. Ou plutôt, en l'occurrence, déformatez. Brisez ces carcans artificiels. Remettez vos cellules grises comme au sortir de l'usine, ce qui signifie – en l'espèce – du ventre maternel... Dites-vous que votre seule Pensée est capable de décrypter toute Vérité. Quelle qu'en soit le système de fichier. Car il n'existe aucune raison – a priori – de se fixer la moindre limite.
 
Puis tout en élargissant à l'infini son champ de réflexion, il faut entourer sa mécanique intellectuelle d'un véritable château fort. En faire une citadelle imprenable. Comme un pare-feu. A travers quoi rien ne saurait pénétrer, sinon ce qui s'y voit dûment autorisé... Et tout élément qui reçoit – le cas échéant – cette permission d'accès, devra encore être passé au crible d'une analyse minutieuse.
 
Sur ce point précis, à bien y regarder : votre Jugement fonctionnera – sous certains aspects – tel un véritable antivirus... Pour confirmer ou non l'exactitude d'une proposition tierce, voire plutôt sa validité, il convient de comparer celle-ci à ses propres modèles. Le plus fiable secteur en vous, j'entends la connaissance. A ne pas confondre avec votre savoir. Ce dernier étant purement théorique, et dés lors souvent superficiel... La connaissance englobe en revanche toute notion qui, de près ou de loin, émane de votre expérience fondamentale.
 
Je compte ni plus ni moins que cinq ports d'entrée vers notre esprit. A savoir les cinq sens... Tout ce qui est ressenti par ceux-ci – cela dans un rapport direct et pur – peut être raisonnablement appelé réalité. Laquelle ne doit jamais être crainte. Il faut au contraire la vivre absolument. Lui ouvrir pleinement ses sens... Ce dont il est impératif – toutefois – de se distancer, c'est tout ce qui parvient à soi par l'intermédiaire d'un média. Ne représentant – lui – qu'un réel tronqué, travesti, falsifié.
 
Les sens et leurs canaux – à vrai dire – forment une prise d'alimentation, menant droit au cerveau. Attention donc à bien en régler le débit. Un manque d'apport sensoriel assèche littéralement votre cervelle. Une trop grande abondance, à l'inverse, l'inonde et la paralyse... L'idéal est dans le juste milieu.
 
Surveillez ainsi ces câbles essentiels, reliant le monde sensible à votre Savante Pensée. Gardez-les toujours connectés l'un à l'autre. Ceux-ci s'échelonnant en trois parties, dont le bon ordre est primordial. Sensation => Émotion => Réflexion... Les deux premiers sont à branchés en esclave sur le dernier. Nécessairement. Ce processus ne valant que dans sa pleine intégrité, de la chose éprouvée jusqu'à l'expérience raisonnée. Car il importe, au final, que votre esprit l'emporte.
 
La Pensée a pour science le fond des choses. C'est d'ailleurs l'objectif ultime ; le Fond, l'Essence, l'Immuable. Car sachez bien que tout le domaine du sensible ne correspond jamais qu'à une interface sensorielle. Un genre de paravent, quelque fois trompeur, qu'il incombe de renverser. Tant le véritable intérêt réside à l’arrière. Dans les fichiers qui sous-tendent l'ensemble... La Vérité n'est pas loin d'être un logiciel propriétaire. Qui nous cache jalousement son code. A vous d'en être les hackers. Lancez vos scripts à l'assaut de son vernis graphique. Crackez-lui ses faux-semblants. Puis rapatriez vers vous toute donnée qui en échappe.

Il faudra cependant que vous preniez garde. Votre esprit n'est pas sans faiblesse. J'y discerne quelques failles de sécurité... Vous serez parfois sujet au découragement destructeur, ou bien aveuglé par une immonde vanité. L'abjecte insouciance – elle aussi, par moment – pourra en gagner certains. Tant d'états qui vous feront baisser votre attention... Il sera plus que nécessaire, alors, de faire une restauration d'ensemble. En ayant d'abord rescanné tous vos neurones, pour mieux y séparer le grain de l'ivraie. Puis reparcouru les journaux système, où vous aurez soupesé – avec clairvoyance – vos divers acquis et échecs... Ensuite rebootez la Pensée.
 
Mais une énième menace – autrement grave – guette toujours votre esprit, elle en incarne même le virus suprême… j'ai nommé l'idéologie... Laquelle consiste à ne plus penser que suivant une seule et même idée. Pire encore, c'est mettre cette Haute Idée – soudain devenue comme intouchable – jusqu'au dessus de sa propre Pensée. Dérive qui conduit à l'aliénation de toute réflexion...
 
Pour se prémunir du poison idéologique, la Pensée doit être régulièrement mise à jour. Ou plutôt, dans son cas précis, remise en question. J'y vois une impérieuse nécessité. Tout sera continuellement soumis à examen. Tout. Même la plus sûre évidence. Aucune réflexion ne pouvant devenir Vérité absolue et définitive... Protégez-vous en cela de tout fichier terminant par un .isme. Autant que fuyez doctrines et écoles, grandes pourvoyeuses d'idéologies.
 
Si votre Esprit – en principe – est sans fin, le cerveau se trouve – malgré tout – mécaniquement limité. En y stockant un trop grand nombre de notions, vous risquez ainsi grandement la saturation. Qui se traduit par une fatigue psychique. Et celle-ci entraîne généralement l'éprouvante crise morale... C'est pourquoi il est indispensable de fréquemment décharger sa cervelle. Par le biais surtout de l'Action. Concrète. Physique... L'une des meilleures issues matérielles – à votre magma d'idées – réside pour moi dans la création. Sachez donc convertir – dans la mesure du possible – tous vos fichiers mentaux, en autant d'applications .art. Qu'il vous sera loisible d'offrir à la Communauté.
 
Avec une telle administration de votre Système, vous éviterez probablement tout plantage. Sachez cependant que la Pensée procède par cycle de trois ans. Ou à peu près. Passé quoi, sans doute, un renouvellement se fera sentir... Il faudra donc remettre ses idées à plat. Optimiser son Intellect. Puis réamorcer...
 
Je ne pourrais terminer sans vous dire l'importance de rester libre. De ne placer son Esprit sous aucun ascendant, hormis peut-être ses propres idéaux. D'œuvrer au bien commun, avec probité, mais tout en conservant sa pleine indépendance... Il en va ici du bon fonctionnement de votre Pensée.
 
Sur base de quoi, selon les principes de la Pensée libre, ce texte est lisible par tous. Il reste ouvert à l’étude, à la reproduction, au partage, et même à l’amélioration. Cela par tout un chacun… Faisons donc progresser nos systèmes d’exploitation, notre O.S. commun, la Pensée.

4 commentaires:

  1. pas mal!
    tu devrais lire la théorie des affects de deleuze (je ne sais plus quel livre au juste, celui où il définit affects, percepts et concepts),écrit à partir de la théorie des affections de spinoza (l'éthique) et puis de la phénoménologie, husserl, richir... et heidegger bien sûr (essais et conférences, pour commencer) et alors ta mémoire saturera, tes chemins neuronaux grésilleront d'impatience et d'urgence il te faudra agir ta puissance et créer encore!
    une métaphore, quand elle est filée, devient vite une analogie. mais en effet, les ordinateurs sont des automates qui imitent le cerveau humain. quoi d'autre pourrait-on imaginer, du reste? cloaca, bien sûr.
    et mieux on entendra le fonctionnement de notre corps-esprit, mieux on créera et inventera, sûrement.
    bises,

    xavier

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  2. Lire, en effet ! C’est un des grands entraînements de l’esprit, sa nourriture, presque essentielle : la lecture. Quoique pour ma part, je m’y suis un peu mis sur le tard. Je ne lis vraiment que depuis une toute récente mise à jour. Peut-être mon esprit a-t-il quelque peu vieilli. Sa bonne marche me réclamant de plus en plus de recharges, littérairement.

    Mon système de penser a pu peut-être pécher par un certain hermétisme. Je le reconnais. Mais il faut toujours prendre garde, néanmoins, a ne pas faire de son esprit une vulgaire compilation d’idées. Ou encore le modeste interprète des pensées d’autrui… Lire nourrit autant qu’il peut nous endormir, parfois. Et la Pensée n’est pas un jeu d’idées. Peut-être même que les idées ne sont pas la Pensée.

    Métaphore/analogie, est-ce une critique ? En tout cas je me suis livré ici à une situation de penser. Confondant esprit et ordinateur.

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  3. Comment ne pas approuver ce vibrant éloge de la pensée, de la liberté de l'esprit ?
    Toutefois je regrette la phrase "seul maître à bord après Dieu". Les religions sont des systèmes beaucoup plus rigides que Windows. En présupposant l'existence de Dieu, elles interdisent de penser librement.

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  4. Merci de m’avoir lu et commenté.

    J’ai légèrement hésité, de fait, avant d’utiliser cette phrase. Etant conscient qu’elle pouvait être mal perçue. Ou même sembler contradictoire, surtout à l’intérieur d’un tel texte. Aussi, par son emploi, je ne prétends avancer ni convictions ni arguments. Je ne l’utilise ici que comme expression consacré. Tel qu’on le disait autrefois des capitaines de navire, qui était effectivement «seul maître à bord après Dieu».

    Pour autant, je crois qu’il ne faut pas évacuer trop vite le religieux du champ de la pensée. Même la question de Dieu y a sa place. Certes, sans aller présumer de son existence ; et inversement, d’ailleurs… Car le questionnement sur ce que des hommes ont nommé «Dieu», sur ce qui peut-être nous dépasse (et le temps ou l’espace entre autre nous échappent), autrement dit l’interrogation sur le néant et l’absolu ; tout ça est essentiel. Assurément.

    « Ne placer son Esprit sous aucun ascendant, hormis peut-être ses propres idéaux… » Pour ma part, j’ai tendu longtemps à l’Absolu.

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