lundi 7 février 2011

Essai sur les nus du cinéma français.

Ce qui pourrait caractériser le film européen, c’est un certain attrait du réel. Ce goût de rendre crûment les choses. D’aller au plus près du vécu… Non pas l’évasion par une réalité fantasmée, comme dans moult machines américaines, mais plutôt l’examen introspectif de nos sociétés. Grâce à ce miroir, tout de toile blanche. Illuminé à raison de vingt-quatre images secondes...

Citons le néoréalisme italien. Citons la veine sociale anglaise. Puis citons bien sûr la Nouvelle Vague. Car comme de coutume, le cinéma ne faisant exception, l’Europe et la France se confondent pour beaucoup. D’ailleurs les créations hexagonales n’occupent-elles pas la tête du Vieux Continent ? Au moins par leur quantité. Et c’est sans doute ces dernières qui expriment le mieux cet exigeant idéal de réalisme.

Quoique les films français ont encore une autre dimension fort particulière. Quelque chose proche de l’obsession… Je vous la donne en mille : le désir lubrique. La concupiscence. Ou en termes différents, peut-être plus triviaux : l’irrépressible passion du sexe… Angle sous lequel je propose une analyse sans pudeur. Non seulement comme spectateur et cinéphile, mais aussi – de manière tout à fait assumée – en voyeur…

Le cinéma, par sa nature même, est éminemment sensuel. Et il aura longtemps louvoyé autour de la sexualité, sans franchir le pas de sa représentation frontale. Hormis à travers quelques courts-métrages marginaux, destinés à un public aussi restreint qu’averti, circulant plus ou moins sous le manteau. Telles par exemple les collections du Roi d’Espagne, au tout début du siècle dernier.

La nudité sur grand écran fait sa réelle irruption dans les années 1960. D’une façon timide mais néanmoins exponentielle. Ce qui constitue, n’ayons peur des mots, un authentique basculement. Car jamais le commun n’avait eu cet accès au nu. Sous une forme elle-même sans précédent. Puisque vive et crue. A deux doigts d’être vraie… Ainsi la poussée libertaire des sixties n’est peut-être pas due à l’avènement du rock. Mais bien plutôt à l’érotisme, latent puis exacerbé, contenu dans nombre de films.

Parce qu’en effet le 7ème art, d’entre tous les médias, est celui qui offre la plus grande proximité avec le réel. Accaparant mieux qu’un autre les sens humains. Et, par là même, l’esprit. Sa puissance étant un peu au domaine artistique ce que la bombe atomique est à l’armement. Le paroxysme en son genre… C’est une discipline qu’on pourrait dire volontiers totalitaire. Qui aura d’ailleurs compté comme principale force, par son influence exceptionnelle sur les masses, des régimes soviétiques et fascistes. Avant de jouer un rôle majeur dans un énième séisme du vingtième siècle, à savoir la révolution sexuelle. Dont les premières piques furent lancées depuis les salles obscures.

Le cinéma français, lui, se dévergondera plus tardivement que ses homologues anglo-saxons. Qui furent eux les précurseurs véritables de notre évolution des mœurs. Pensons aux films de Russ Meyer. Voyons aussi Le prêteur sur gage de Lumet, en ce qu’il est la première œuvre de studio à montrer une poitrine dénudée. Ou surtout Blow up, dès 1966, premier vrai film à nous dévoiler le pubis féminin.

Tout ceci à une époque où la France étouffait encore sous le conservatisme gaullien. Pudibonderie toujours de mise à l’heure de Pompidou, avant d’être balayée – d’une vague irréversible – pendant l’ère Giscard. Laquelle fut précisément inaugurée par le niais mais non moins émoustillant Emmanuelle… Car si l’Hexagone a pu paraître en retard, elle finira par rejoindre et même surpasser tous ses pairs…

Le milieu des années 1970 marque ni plus ni moins qu’une explosion érotique… La sexualité, la nudité, la crudité en tout, font souche à l’intérieur de chaque discipline culturelle. Et singulièrement au travers des écrans… Exhiber le corps devient une innovation en soi. Presque un genre à part entière. Digne étendard d’une génération… En cette époque unique, tout est concupiscence.

Je ne souhaite pas ici traiter de l’industrie du charme, spécifiquement, certes bien florissante depuis lors. Mais au contraire examiner le cinéma plus traditionnel, lui-même en proie à cette fringale sexuelle. Car le fait marquant, à partir de cette décennie, c’est justement l’extrême généralisation du sexe. Cela dans tous les types de film.

Aussi, le format qui se veut érotique – a fortiori – est généralement des plus plats. Accumulant trop volontiers les poncifs. Soit versant dans la grotesquerie du clip. Le plaisir se voyant alors désamorcé par l’outrance… Ainsi les séries B ou Z des seventies. Ainsi même l'Empire des sens, assez mièvre érotiquement.

Les films à très haute charge sensuelle sont plutôt ceux où l’érotisme ne dit pas son nom. Qui parlent d’une chose, conduisent une intrigue, pour en fait ne se vouer qu’au désir. A la chair. Incarnée par des corps radieux, non-innocemment lascifs. Domaine dans lequel les productions françaises excellent…

Le summum en la matière pourrait se trouver dans ces œuvres sur l’adolescence. Abordant fantasmes et premiers émois. Tout emplis d’une tension voluptueuse… Tel Le souffle au cœur. Telle La dentellière. Telle Une vraie jeune fille… Ou tant d’autres.

Et le cinéma d’Hexagone va exposer le nu jusqu’au sacrilège. C’est-à-dire qu’il ne recule devant rien ni personne. Pas une situation n'est trop hardie, pas une actrice n’est trop charmante pour lui. Il les dévêt jusqu’à la perversité. Nu gratuit, hors sujet. Comme pour conjointement rincer l’œil du réalisateur et du spectateur. Jusqu’au vulgaire. Laidement libidineux. Parce qu’un chef-d’œuvre d’érotisme, souvent, est une réalisation sans qualité particulière. Le nu est l’apanage des films médiocres… Et c’est ici ceux qui m’intéressent.

Un personnage des plus caractéristiques – à cet égard – dans le répertoire cinématographique français, sera celui de la jeune ingénue. Protagoniste sans histoire, sans consistance, et même sans rôle narratif ; uniquement présente pour sa valeur sensuelle, n’ayant d’autres vocations que celle d’être dénudée... Automate toujours souriante, aux mains de ses partenaires. Son importance culmine lorsque la narration se suspend. Pour laisser place à une scène de pure contemplation ; tout anatomique, extatique, érotique…

C’est le moment-clef où la divine créature déboutonne son chemisier, et il y a très peu de sous-vêtements dans le cinéma français… C’est la séquence enchantée nous montrant celle-ci au sortir du lit. Courant aux rideaux, pour s’offrir au jour. Dans son plus parfait état de nature… C’est l’instant béni passé sous la douche. Le cheveu dégoulinant. La peau luisante et légèrement perlée…

On pourrait croire qu’il s’agit-là de visions proprement masculines, or ces scènes-types reviennent autant dans les œuvres au féminin. Filmées à peine différemment. Parfois même en plus crues… Les femmes abordent plus ouvertement encore la question sexuelle. Elles parlent du corps davantage que les hommes. Et ne joue pas moins sur cette ambivalence de leur anatomie : simple enveloppe charnelle, puis tout à la fois objet de désir… Voyez le cinéma de Catherine Breillat. Tonie Marshall. Diane Kurys. Jeanne Labrune. Claire Denis. Et consort.

Les qualités féminines, du reste, semblent offrir un meilleur matériau de création. Ceci à l'usage des deux sexes. Car les formes d'une femme sont riches et signifiantes, là où l'extérieur masculin est plus lisse et quelconque... Par voie de conséquence, à l'heure des particularismes renaissants, dans l'époque du désir fait Dieu, en cette société marchande : la femme est triomphante. Elle triomphe par son caractère protéiforme, et se vend mieux qu'un homme. Ainsi son image est déclinée sur tous les supports et dans toutes ses gammes. Monde gynécentré. La Vénus a supplanté l'Éphèbe dans l'Universel…

Parvenue aux années 1980, la nudité devient système. Assez cynique. Une exploitation de masse. Débordant du cinéma à la télévision. Des fictions jusqu'aux plateaux télévisés... Tandis que la décennie 90, elle, renouera avec une certaine mesure. Dans un politiquement correct hypocrite, bientôt dynamité par le vingt-et-unième siècle naissant. Heure plus perverse et trash. Loin de l'antique innocence woodstockienne ou soixante-huitarde. De ces nus presque encore naïfs, sur grand écran, desquels naquit un âge nouveau. Adolescent... Amours libérés dont nous descendons.

Je veux enfin vous avouer, sans grivoiserie aucune, ma fascination pour les actrices déshabillées. Art dans lequel la cinématographie française est donc passée maître... Je vois en effet du sublime à offrir son corps et sa jeunesse au plus grand nombre. A le fixer dans l'éternité, fort de tous ces charmes... D'ailleurs jouer nu, par surcroît, représente la quintessence du don de soi. Proche même d'un abandon. Tout au moins dans le travail du comédien. Car pour lui, le corps est un instrument. Le sien. Unique mode d'expression qu'il possède. Et créer revient – d'une manière ou l'autre, de près ou de loin – à se dévoiler...

Je dédierai spécialement ce texte à la mémoire de Maria Schneider, qui a offert son corps et sa jeunesse au cinéma français... Et je dis également ma profonde reconnaissance aux actrices françaises, dans leur ensemble... Toutes femmes dont je suis secrètement amoureux.
 

3 commentaires:

  1. Excellence analyse – absolument authentique – Oui l'Europe et plus notamment la France ont osé lever le gant, osé soulever le voile en mettant à nu sur l'écran les divers aspects du corps, de la sexualité, depuis ses premiers pas immatures, mutins jusqu'à sa bestialité… on y reconnait le souffle de Shakespeare dans son inoubliable drame Les Songes d'une nuit d'été.
    Les français ont par leur cinéma sorti le diable de la boite de Pandore. Ils ont placé l'audience devant tout ce qu'elle cherche tant et si bien à camoufler, à affubler, à embellir. L'homme et la femme avec leurs corps, leurs besoins les plus secrets, leurs instincts les plus préjudiciables mais qui font partie de leur composition, de leurs tendances innées. Ils ont été les plus francs, les plus loyaux, les plus proches de la réalité, avilissante parfois, dégradante, mais pourtant bien réelle.
    Cette dissection très avancée de l'être humain, a son avantage puisqu'elle nous permet de mieux nous accepter tels que nous sommes. Elle balaie les tabous, nous place sur notre orbite véritable, nous jumelant souvent par certaines de nos attitudes avec la bête.
    Le revers de la médaille est que le romantisme et le fantastique n'y trouvent plus aucune place. Et je suppose que c'est ce que les américains ont tenté de préserver. Ils frôlent la sexualité comme un jeune amoureux qui craint d'effaroucher sa colombine par des caresses trop osées.
    Mon cher ami, nous avons tous besoin de quelques grains de l'irréel. Sans lui, que deviendrons-nous?
    HTTP://THERESE-DVIR.COM
    HTTP://THERESE-ZRIHEN-DVIR.OVER-BLOG.COM/

    RépondreSupprimer
  2. -la première paire de fesses: bardot in " en cas de malheur" (1959, l'inénarrable autant-lara)
    -la curiosité irréfutable: le dernier henri georges clouzot: "la prisonnière" (1968)
    -"don juan 73" de christian vadim...il y plonge enfin, "le grand public" en fait...
    le rapport au corps est une antienne du cinéma français...
    l'"intimacy" de chéreau, voilà un excellent exemple...
    "Catherine Breillat. Tonie Marshall. Diane Kurys. Jeanne Labrune. Claire Denis." un tel amalgame: voilà qui est courageux...
    au plaisir, camarade !

    RépondreSupprimer
  3. Merci pour ces références ! J'en prends bonne note... Je reconnais volontiers que c'est la faiblesse du texte, de ne pas en citer plus largement et précisément. J'ai composé avec les limites de mon bagage... Je n'ai pas prétendu épuiser le sujet. C'est une synthèse plutôt qu'un compte rendu exhaustif.
    Pour ces réalisatrices, c'est sûr qu'elles sont très différentes l'une de l'autre. Breillat se détache clairement du lot en la matière. Ce que je voulais dire c'est que les femmes ne dévoilent pas moins la nudité féminine que les hommes. Elles le font même souvent d'une façon tout aussi gratuite.
    "Intimacy" de Chéreau est très bon, mais en l’occurrence ce n'est pas le film le plus éminemment français qui soit. Dans son cas précis, ce n'est pas de la nudité gratuite. Elle fait partie intégrante du sujet traité. Elle est pleinement justifiée... Ce qui est par contre fascinant dans quantités de films français, c'est justement la nudité pour rien. Le nu sans aucune raison. Lequel va parfois même contre le sujet du film, et quelque part le saborde... C'est cet angle là qui m'intéressait.

    Un grand merci, en tout cas, de m'avoir lu et commenté.

    RépondreSupprimer